Pendant des mois, le président Félix Tshisekedi a martelé la nécessité d’une solution diplomatique aux tensions croissantes avec le Rwanda. À Luanda, Nairobi et New York, il a plaidé pour une approche pacifique, pointant du doigt Kigali comme principal déstabilisateur de l’Est congolais. Pourtant, les révélations sur l’arsenal militaire accumulé à Goma racontent une toute autre histoire : celle d’un régime qui, sous couvert de négociations, préparait un affrontement militaire d’ampleur.
Selon une enquête menée par le média The New Times, les forces congolaises ont transformé cette ville frontalière en véritable bastion militaire, y stockant des armes lourdes et permettant de mener une offensive bien au-delà du territoire congolais. Cette information est corroborée par le rapport du Conseil de sécurité de l’ONU, publié le 26 janvier 2025, qui mentionne un déploiement massif d’armes par les Forces Armées de la RDC (FARDC), y compris des drones d’attaque et de l’artillerie de haute intensité, à proximité des camps de déplacés et dans des zones densément peuplées.
L’ampleur des équipements découverts dépasse de loin les besoins d’une simple opération contre une rébellion locale et soulève une question lourde de conséquences : Tshisekedi planifiait-il une offensive militaire contre le Rwanda ?
Goma au cœur de l’escalade militaire
D’après des sources sécuritaires citées par The New Times, 60 000 combattants étaient positionnés dans et autour de Goma avant l’offensive du M23. Cette force incluait l’armée congolaise (FARDC), des troupes burundaises, des contingents de la SADC et des milices Wazalendo.
Dans les dépôts militaires abandonnés à la hâte, les journalistes de The New Times affirment avoir découvert un impressionnant arsenal de guerre : des lance-roquettes BM-21 Grad, capables de frapper des cibles à 40 kilomètres, des obusiers D-30 de 122 mm, avec une portée de 21 kilomètres, mais aussi des drones kamikazes et de reconnaissance, une technologie de pointe rarement déployée contre des groupes rebelles. S’ajoutent à cette liste des systèmes anti-aériens de 37 mm et plusieurs Soukhoï-25, des avions d’attaque au sol conçus pour mener des opérations offensives d’envergure.
Le rapport de l’ONU que le déploiement de ces ressources humaines et militaires avait pour vocation de bombarder des positions tenues par le M23, ce qui aurait inéluctablement aggravé la crise humanitaire et provoqué des destructions importantes.
Un double discours
Alors que Tshisekedi se positionne en dirigeant œuvrant pour la paix dans les conférences de Luanda et Nairobi, son gouvernement continuait à renforcer sa présence militaire à Goma. The New Times rappelle que cette contradiction entre discours et actes a par ailleurs éveillé la méfiance des diplomates régionaux.
Le Rwanda, régulièrement accusé par Kinshasa de faire s’enliser et aggraver le conflit, a toujours rejeté ces allégations. Selon Kigali, c’est bien la RDC qui préparait une offensive, comme en témoigne la violation répétée de l’espace aérien rwandais et les tirs d’obus transfrontaliers.
Un diplomate interrogé par The New Times estime que : « Tshisekedi voulait apparaître comme un dirigeant en quête de paix, mais en coulisses, il préparait une démonstration de force. »
Les révélations de The New Times mettent également en lumière les investissements massifs de Kinshasa dans l’armement. Les experts estiment que plus de 4 milliards de dollars ont été dépensés pour équiper cette coalition militaire.
Par ailleurs, le champ de bataille de Goma a vu passer une mosaïque d’acteurs aux intérêts souvent contradictoires. Les milices Wazalendo, connues pour leurs exactions contre les civils, ont coexisté avec les FDLR, un groupe armé hérité des génocidaires rwandais de 1994, toujours actif en RDC. À cela s’est ajouté la présence plus discrète, mais non moins significative, de mercenaires européens, certains identifiés dans des hôtels de la ville et ayant fini par déposer les armes face à l’intensité des combats. Enfin, il y a également eu la présence notable de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo (MONUSCO). Officiellement neutre, la mission onusienne s’est retrouvée dans une position inconfortable, accusée d’avoir apporté un soutien tactique aux FARDC dans le cadre de l’opération Springbok III – une intervention qui a mobilisé un bataillon de déploiement rapide, une section de forces spéciales et une batterie d’artillerie. Un engagement qui, aux yeux de certains, brouille la frontière entre maintien de la paix et soutien militaire actif.
Une escalade évitée de justesse ?
D’après plusieurs analystes sécuritaires cités par The New Times, la prise de Goma par le M23 pourrait bien avoir empêché une guerre régionale.
« Si le M23 n’avait pas pris Goma, une offensive contre le Rwanda était envisageable », confie un haut gradé.
Avec la chute de la ville, l’armée congolaise a dû battre en retraite, en abandonnant un matériel militaire qui aurait pu servir des ambitions belliqueuses d’ampleur. Tshisekedi, qui dénonçait une ingérence rwandaise, doit désormais expliquer pourquoi autant d’armes lourdes étaient stockées à la frontière rwandaise, alors même que l’ONU avait demandé un désengagement militaire, insiste James Munyaneza.
Si l’heure est à la désescalade sur le terrain, le conflit reste loin d’être résolu. La militarisation de Goma a révélé les ambitions stratégiques congolaises, mais aussi les failles du contrôle de Kinshasa sur son propre territoire.
Avec un arsenal conséquent toujours en circulation, une situation humanitaire qui continue de se détériorer et une défiance mutuelle entre les acteurs régionaux, la région des Grands Lacs reste à la merci d’une nouvelle explosion de violence.